La courageuse

« La courageuse », fait parti du livre « Brigadistes ! » sorti à  l’occasion du 80ème anniversaire de la création des brigades Internationales. Celui-ci est composé de textes écrits par des auteurs, des compositeurs, des interprètes, des cinéastes, des dessinateurs de BD, et autres personnalités. Tous ayant été amené à croiser le chemin des Brigades internationales.

Lorsque les Franquistes prennent le pouvoir, la famille Caliciuri, doit de s’exiler. Ils quittent ainsi l’Espagne pour rejoindre la France. Une histoire que nous pouvons retrouver dans deux chansons, « L’exil » et « Giuseppe et Maria ».

Cali a imaginé la lettre que sa grand-mère, Maria del Pilar Gonzalez Veladol, a écrit au camp de Saint-Cyprien alors que son mari Guiseppe Caliuciuri, lieutenant de la XIIème Brigade du groupe Anna Poker était interné aux camps de Gurs puis d’Argelès-sur-mer.

Des étudiants en littérature ont travaillé sur cette lettre qui, si nous nous référons  aux témoignages recueillis par les historiens, semble très proche de la réalité.

Malgré la gravité de la situation cette lettre est pleine d’espoir, de vie, de rêve. Elle est surtout rempli d’humanité.

« Je rêve, oui je rêve. Que tu es là, debout au pied de ma couche. Mon beau soldat aux yeux si clairs. Je rêve, oui je rêve.  Et je vois l’Italie que je ne connais pas.

Je rêve, oui je rêve, tu es là, tu souris, mon beau brigadiste aux yeux si verts. Et tant pis pour l’Espagne, elle nous aura mariés, mais elle nous a tout pris. Il fallait s’en aller.

Je rêve oui je rêve,  dans cette laide baraque qui ronfle tout autour. Toutes ces femmes sans homme qui rêvent comme moi. Rêver pour seul secours. On leur a tout volé elles aussi. On ne leur prendra pas leur rêve cette nuit.

Je rêve que tes mains se posent sur ma peau. Une caresse maintenant, juste une caresse, j’en crève. Relève ma nuisette, viens te coller à moi, mon beau soldat debout, aux yeux si loin. Et ton corps si fort qui vient couvrir mon corps. Je suis si fatiguée et mes mains sont si laides. Un jour j’en prendrai soin. Tu pourrais me briser, je ne pèse plus rien. Regarde notre amour qui vole au dessus. Regarde. Tu m’en as fait toi du bien. Je ne regrette rien. Ni la faim, ni le froid, ni notre enfant qui dort juste à côté de moi. Il te ressemble tant. Je ne regrette rien, tu es l’homme qui me plaît, tu es l’homme que j’aime. Ils ne prendront pas ça. Nous avons traversé les montagnes hostiles et la neige et la route qui ne terminait pas. Nous avons traversé. Et la mer juste là sera un jour si belle. Mon amour si tu pouvais le voir, ton enfant comme il dort. Et comme il ne sait pas encore que le monde peut-être cruel. Mais non , ce monde n’est pas définitivement mauvais. Il ira, crois moi, vers le meilleur. Comme un enfant qui grandit et fait moins de bêtises. J’en fais le serment. Notre enfant est notre tout. Comme ses mains sont les tiennes ! et sa bouche et ses yeux! Je jure elle sera belle sa vie .

Je t’écris du fond de ce dortoir puant, où des corps fatigués gémissent et se serrent et ce gardien perdu qui se racle la gorge juste là derrière. Lui aussi il a froid et loin de sa famille il me fait de la peine. C’est drôle, son fusil ne me fait plus peur. L’autre jour, il m’a tendu son pot de lait. « Pour votre bébé », il a dit. Te rends-tu compte ? Vois-tu comme tout n’est pas si irrécupérable ?

Mais je rêve, je rêve et il me reste ça, ton sourire, mon soldat, et tes mains sur mon corps. Sous ce tissu marron, qui me cache un peu, nous nous serrons si fort. Je sens Le Bon Dieu qui n’existe plus et qui est là pourtant.

La-bas, à l’autre bout de la baraque froide, un bébé accroché au sein de sa maman. On dirait un chaton qui mordille un gant. Elle aussi elle rêve. Je vois ses yeux jetés par un bout de fenêtre, vers le loin de la mer. C’est sûr, elle a aimé.

Je souris doucement et puis ne m’en veux pas. Je suis sûr que là où tu es tu souris toi aussi. Avec d’autres fantômes, comme toi prisonniers, partageant vos mégots. Vous parlez de grand jour et de passionnaria…Et de Franco la muerte.

Tu sais, j’ai encore confiance en l’homme cette nuit. Je sais que grâce à nous et notre tragédie le futur sera beau. Il n’y aura plus d’exil. Tous ces gens malheureux. Plus de désespérés. Ces peuples égarés sur le bord des routes. Grâce à nous mon chéri.  Grâce à toi mon mari chéri. Le monde sera beau. Te rends-tu compte ? Je souris encore. Et puis je le redis, cet enfant qui dort là, juste là, juste à côté de moi, aura une belle vie, je le crache par terre.

Je rêve, oui je rêve. Pitié, que cette nuit jamais  ne s’arrête. Et que mes doigts gelés trouvent encore la force de serrer ce crayon. Je veux sentir  encore ta peau contre ma peau, mon beau soldat si fier, mon héros aux yeux clairs. Pose encore tes mains tout le long de mon corps. Mon corps, il est à toi. Et Je veux d’autres enfants. Car ses enfants de toi sont toute ma fierté. Et seront la fierté du mon de demain. Je crois en l’amour, alors j’ai foi en l’humanité c’est ça ?

Et dans ce pays neuf que l’on ne connaît pas, nous allons repartir. Nous allons tout reconstruire. Et puis je suis si fière de ce nom que tu m’as offert, Caliciuri…Il est de tous les pays, il est du monde entier, il me rend si jolie.

Le vois-tu toi aussi notre prochain refuge ? Cette ville ensoleillée avec sa grande rue et ses grands magasins ? Ah, nos enfants… je tiendrais leurs petites mains pour aller à l’école. Il n’y aura plus rien d’autres que cette vie devant. Dans leurs plus beaux habits, comme ils seront délicieux. Le vois-tu ce chemin qui mène à l’école et ces gens tout autour qui nous saluent, accueillants, et l’odeur du printemps ? Comme je serais fière ! Ils apprendront tout ! Oh ! Ils vont étudier, passionnément, goulûment ! cette langue nouvelle comme ils vont l’adorer ! Ils apprendront tant ! Jusqu’à la liberté ! Oui, je leur souhaite des poèmes et des chants d’amour. Et puis à l’heure d’éteindre leur petite lumière le soir ils me supplieront encore. « Un petit peu, maman, encore, s’il te plaît, une dernière page… » Ils voudront tout lire, tout lire tout de suite, tous les livres du monde.

Et les enfants de nos enfants ? As-tu pensé à ça mon amour ? Nous serons leur havre, leur repère. Et un jour ils sauront qu’il y avait de la neige et puis ce long chemin pour venir jusqu’ici. Oh, ce bébé qui dort juste à côté de moi, il fallait qu’il soit si fort pour s’accrocher à vivre ! Quand nous l’avons poussé dans sa brouette en bois en guise de landau pour passer la frontière, t’en souviens-tu ? Bien sûr tu te souviens ! Suis-je Bête ! Jamais nous n’oublierons. Nous lui avons parlé pas après pas. Tout ces mots de courage qui nous auront aidés à marcher nous aussi. Et tu lui as chanté l’Espagne et l’Italie. Je sais qu’il comprenait et qu’il sentait le souffle de cette vie meilleurs. Celle qui nous attendait au bout de cette route, nous et tous ces milliers.

Il est là notre bébé, notre futur, et il vit. Demain les nouvelles seront bonnes et nous seront ensemble. Mon beau soldat aux yeux si verts. Caresse-moi encore, tu me fais tant de bien. Grâce à toi, grâce à nous s’ouvre un futur radieux. Il n’y aura plus jamais jamais de familles égarées qui quittent leur pays. Qui laissent leur maison, Qui brûlent leur passé. Leur enfance. Qui laissent leurs racines. Qui abandonnent le sang de leur sang. Et ces églises où l’on se mariait. Et ces cimetières et leurs morts adorés qu’on fleurissait. Il n’y aura plus ces troupeaux de désespérés qui suivent un chemin dans la neige et le froid et le bruit des canons.

Je m’accroche à ta main. Quand ils m’ont arrachée la tienne les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, j’ai vu ton regard noir, j’ai vu tes points serrés. Eh bien, vois-tu, ces poings seront toute ma force !

Oui, tu m’as tout donné à cette instant. Je ne lâcherais rien. Ces poings que tu serrais mon homme, ces poings sont dans mon coeur. Oh ! Mon amour. Tu es l’homme qui me plaît, tu es l’homme que j’aime, s’il te plaît reviens-moi, je t’attends, courageuse. »